Le nouveau code pénal du Burkina a encore fait l’objet d’un débat, ce mardi 27 août 2019 à Ouagadougou. Cette fois-ci, sous forme d’un café citoyen. Juristes, hommes de médias, techniciens du département de l’Economie numérique, acteurs de la société, tous, ont pris part à ce rendez-vous sur les droits digitaux.
« Toute personne a le droit d’avoir des opinions sans ingérence aucune. Toute personne a le droit à la liberté d’expression sur internet ; ce droit implique le droit de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, des informations et des idées au moyen de l’Internet et des technologies numériques ».
Ce sont en ces termes que le directeur exécutif du Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA), Urbain Yaméogo, a rappelé le principe de la liberté d’expression, l’un des treize principes de la Déclaration africaine des droits et libertés de l’internet.
Plus loin, ce principe indique que « le droit à la liberté d’expression sur Internet ne peut être soumis à aucune restriction, sauf celles prévues par la loi, pour un objectif légitime, nécessaire et proportionné dans une société démocratique, conformément aux normes internationales en matière de droits humains ».
Avec le nouveau code pénal du Burkina Faso, l’usage des réseaux sociaux et le traitement de l’information sont verrouillés par certains articles. « Régulation de l’usage d’internet et des réseaux sociaux par le code pénal : faut-il craindre une remise en cause des droits et libertés de l’internet et des médias au Burkina Faso ? » C’est sous ce thème que les échanges ont porté.
Comment réguler sans porter atteinte aux droits et libertés de l’internet et des médias au Burkina Faso ? Par cette interrogation, Urbain Yaméogo a passé le flambeau à d’autres panélistes.
« Il faut laisser les journalistes faire normalement leur travail »
Selon Georges Nébié, technicien au ministère de l’Economie numérique, le fait de donner les positions et publier les images des victimes d’attaques terroristes pose problème. C’est pourquoi, il a bien accueilli la modification du code pénal, qui interdit cela.
Face aux critiques à l’encontre de ce nouveau code pénal, Georges Nébié affiche sa sérénité. « Aucune loi pénale ne nous ouvre toutes les libertés », a-t-il déclaré. Pour lui, tant qu’il y a des informations justes, les journalistes ne doivent pas avoir peur de les publier. « Au lieu de dire que cette loi est liberticide, il faut d’abord l’appliquer ; s’il y a des manquements, on va la revoir », a-t-il justifié.
Les arguments pour la défense de code n’ont pas manqué. « Les éléments des FDS ont raté des opérations parce que des internautes les ont devancés en publiant des informations », a déploré Georges Nébié. Comme solution, il faut durcir les choses.
Du côté de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), la lecture n’est pas pareille. « Il faut laisser les journalistes faire normalement leur travail », a déclaré Ousmane Paré, l’un des panélistes.
L’objectif de cette loi, selon Paré, c’est de contraindre les médias à se contenter de ce que le gouvernement va donner comme information. Or cela relève des services de communication, ajoute-t-il. En vérité, il y a un travail de communication au sein du gouvernement qui doit être fait au lieu de s’en prendre aux journalistes, juge l’AJB.
Au regard de la situation, une alternative se présente aux journalistes, estime l’AJB : faire un silence radio sur les attaques terroristes au Burkina ou violer cette loi.
« Pour protéger les citoyens, il faut prendre des décisions »
Contrairement à ce que les gens pensent, le nouveau code pénal n’est pas liberticide, juge Elisabeth Paré, représentante du ministère en charge de l’Economie numérique. « Pour protéger les citoyens, il faut prendre des décisions », a-t-elle estimé. En défendant ce nouveau code pénal, elle a indiqué que c’est vrai qu’il faut publier l’information, mais il faut aussi tenir compte de la psychologie collective ou des membres des familles des victimes.
En tant que spécialiste en gestion de crise et prévention de l’extrémisme violent, Mamoudou Sawadogo a invité les intervenants de se départir de toute passion. On n’a pas besoin de protéger les éléments des FDS à travers la modification de ce code ; il existe déjà des textes, notamment le code de la justice militaire, a-t-il lâché.
Dans son intervention, Mamoudou Sawadogo a rappelé que les médias parlent au nom de la société, donc il faut les laisser faire convenablement leur travail. Le mieux, à l’en croire, c’est de se poser les bonnes questions afin de trouver des solutions à la lutte contre le terrorisme. « Si on doit respecter la loi, il y aura des têtes qu’on doit décapiter dans ce pays ». Pour lui, lorsqu’on a un lourd bilan de décès du côté de l’armée, le supérieur hiérarchique doit répondre devant la justice militaire. « Ça n’a jamais été fait dans ce pays », a-t-il brandi.
Durant les échanges, les participants ont fait savoir que le gouvernement burkinabè n’est pas proactif et qu’il y a un réel manque de communication.
Cryspin Masneang Laoundiki
LeFaso.net